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Qu’est-ce que le biomimétisme ? Quand l’innovation s’inspire de la nature !

Qu’est-ce que le biomimétisme ? Quand l’innovation s’inspire de la nature !

Andréa Bensaid, Eskimoz CEO
Andréa Bensaid
15/04/24
Biomimétisme

S’inspirer du « savoir-faire » et de l’efficience du vivant : telle est la vocation du biomimétisme. Cette discipline consiste à observer de près les organismes vivants, dans le but d’identifier les fonctionnalités pouvant s’appliquer à notre société et d’en tirer des innovations technologiques.

Système d’accrochage prenant exemple sur les plantes, ingénierie qui copie les animaux, architecture empruntée aux écosystèmes des insectes… Les exemples de bio-inspiration sont plus nombreux qu’on ne le croit.

Et ils iront en augmentant, car cette approche de la recherche et du développement a l’avantage de répondre aux enjeux économiques et environnementaux modernes, en alliant croissance et biodiversité. Qu’est-ce que le biomimétisme et quelles innovations en sont tirées ?

Quel potentiel d’avenir pour cette discipline ?

Qu’est-ce que le biomimétisme ? Définition !


Le concept de biomimétisme, que l’on peut traduire par « imitation du vivant », est une approche scientifique autant qu’une philosophie, qui consiste à s’inspirer des principes de la nature pour faire évoluer les technologies humaines vers un maximum d’efficience.

C’est une notion large englobant toutes les sciences et les ingénieries qui « copient » le vivant d’une manière ou d’une autre, dans l’optique de concevoir des produits, des services ou des technologies plus efficaces et, surtout, plus durables.

Voilà pourquoi l’on parle aussi de bio-inspiration ou d’éco-mimétisme. Des termes qui dérivent tous de l’anglais « biomimetics », forgé par le biophysicien américain Otto Schmitt dans les années 1950.

Cette approche est volontiers holistique, dans le sens où elle s’intéresse à tout ce que l’on peut apprendre du fonctionnement de la biosphère, de l’évolution des espèces et des écosystèmes, de l’adaptation des organismes, et des réseaux trophiques (terme qui désigne les relations alimentaires entre les espèces).

En biomimétisme, on observe principalement les plantes et les animaux, mais l’inspiration se veut plus globale : elle tient compte également des virus et des bactéries, des champignons et des micro-organismes. Tous les règnes du vivant participent de cette volonté de donner plus de « valeur » à la nature.

Bien qu’il s’agisse d’une discipline en pleine structuration, le biomimétisme fait déjà l’objet de normes spécifiques. Depuis 2014, l’ISO la définit comme une « approche conceptuelle interdisciplinaire prenant pour modèle la nature afin de relever les défis du développement durable » (voir à ce propos les normes biomimétiques), ce qui lui confère une dimension environnementale indiscutable.

Il s’agit, en effet, de privilégier les « choix » faits par la nature de façon à construire une société en meilleure harmonie avec l’environnement et dont le modèle serait soutenable à long terme. Ce faisant, le biomimétisme aurait vocation à être un vecteur de mutation permettant au genre humain de passer d’une économie carbonée (donc polluante) à une économie « verte ».

Pour autant, au sens strict, le biomimétisme est un processus considéré comme « neutre ». Si la recherche biomimétique s’inspire de la nature pour développer des technologies allant dans le sens d’une amélioration des conditions de vie (à tous les niveaux : social, environnemental, économique…), il ne faut pas oublier que l’inverse n’a rien d’impossible : elle pourrait donc être employée pour produire des armes économiques ou militaires.

Elle est également susceptible d’aboutir à une palette de risques inédits pour l’Homme comme pour les écosystèmes. Même si, bien entendu, ce n’est pas son objet premier. Il y a donc, dans le biomimétisme, une dimension éthique essentielle à prendre en compte.

La nature comme plus grand (et plus ancien) laboratoire de recherche


L’approche biomimétique repose sur l’idée que la nature est à la fois le plus vaste et le plus ancien laboratoire de recherche qui soit, riche de 3,8 milliards d’années d’expérimentation, d’évolution et d’adaptation.

Au fil du temps, les organismes vivants ont été éprouvés de multiples manières, par les grands changements climatiques et géologiques autant que par les transformations des écosystèmes et les lois de la chaîne alimentaire.

Ceux qui ont franchi avec succès ces nombreux filtres sont devenus des sources inépuisables d’inspiration pour l’Homme, constituant un vivier hétérogène de fonctions et de designs permettant de repenser et d’optimiser nos technologies.

Ce faisant, la nature a su mettre en œuvre des procédés exceptionnellement poussés à tous les niveaux, en matière de production et d’efficacité énergétique, d’adaptation de la forme à la fonction, de recyclage, de biodiversité ou d’utilisation des contraintes environnementales.

Cette liste, dressée à la fin des années 1990 par la biologiste Janine Benyus, ne cesse de s’allonger au fil des années en intégrant de nombreux autres modèles issus de la nature, comme l’organisation de la vie communautaire inspirée des abeilles ou des fourmis. L’idée maîtresse étant que la nature fonctionne en toutes circonstances sur un double principe d’efficience et d’économie, sans générer de déchets.

À travers les principes du biomimétisme, il s’agit en somme de regarder la nature comme un ouvrage qui aurait recueilli une part de la sagesse universelle, et dont on pourrait transposer les enseignements dans un cadre technologique.

Avec des applications potentielles dans de multiples secteurs : si l’industrie, la médecine et l’architecture sont les premiers qui viennent en tête, la bio-inspiration concerne tout aussi bien les systèmes algorithmiques.

À titre d’exemple, certains pans de la cybersécurité puisent dans le fonctionnement du système immunitaire humain pour élaborer de nouvelles stratégies de lutte contre les menaces exogènes. Aussi, des écosystèmes comme ceux des termites peuvent servir à développer des innovations en matière d’urbanisme.

D’où vient le biomimétisme ?


Le biomimétisme est sans doute aussi ancien que l’humanité elle-même. Les nombreuses problématiques de bio-ingénierie résolues par la nature ont probablement inspiré les humains depuis l’aube des temps, comme dans le domaine de la capture et du stockage de l’énergie solaire, de la résistance au vent ou de l’hydrophobicité.

Pour prendre un exemple parmi les plus connus, les observations de Leonard de Vinci sur l’anatomie des oiseaux l’ont conduit à imaginer des esquisses de machines volantes dès le XVe siècle – le génie toscan recommandait d’ailleurs de « prendre [ses] leçons dans la nature [car] c’est là qu’est notre futur ». Une conception poussée jusqu’à son terme par les frères Wright au début du XXe siècle pour créer les premiers aéronefs, eux-mêmes calqués sur les mouvements des pigeons en vol.

Une brève histoire de la « biomimétique »


Le terme lui-même apparaît seulement dans les années 1950. Otto Schmitt définit alors la biomimetics comme une approche consistant à imiter les organismes vivants et à prendre la nature comme modèle dans l’optique d’un transfert « de la biologie vers la technologie ».

La dimension « durable » du concept prend forme bien plus tard, en 1997, dans un ouvrage où Janine Benyus valorise la « biomimicry » en tant que manière d’ « aider les innovateurs à concevoir des produits et des processus durables qui créent des conditions propices à toutes les formes de vie ». (Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le rapport du Conseil économique, social et environnemental publié sur le sujet en 2015.)

Ce principe de l’observation-innovation connaît des applications plus récentes encore, et plus surprenantes. Très en vogue ces dernières années, le concept d’intelligence artificielle plonge ses racines dans le biomimétisme : les ingénieurs informatiques s’inspirent de l’extraordinaire complexité du cerveau humain, dans l’idée de concevoir des programmes capables de reproduire ne serait-ce qu’une fraction de sa puissance de fonctionnement.

À ce titre, que sont les réseaux neuronaux du deep learning, sinon une tentative d’imiter artificiellement la structure interconnectée des neurones qui nous permet de penser ?

Quelques applications pratiques de la bio-inspiration


Prenons maintenant des exemples concrets de technologies inspirées du fonctionnement de la nature :

  • La bande Velcro a été inventée dans les années 1940 par l’ingénieur suisse George de Mestral, à partir de l’observation des crochets de la bardane qui s’accrochaient aux poils de son chien durant leurs promenades en forêt.
  • Les peintures autonettoyantes, développées à la fin des années 1990, sont des applications technologiques de ce que l’on appelle « l’effet lotus » : un phénomène hydrophobe qui permet aux feuilles de lotus de se débarrasser des particules de poussière grâce à l’écoulement des gouttes d’eau. Dans la même catégorie se trouvent les verres autonettoyants utilisés pour certains capteurs optiques.
  • Les combinaisons de natation créées par Speedo (Fastskin I et II, puis LZR Racer) sont directement inspirées des propriétés de la peau du requin : la présence d’écailles particulières, les denticules, qui produisent de la poussée tout en réduisant la traînée grâce à une structure qui favorise l’écoulement laminaire de l’eau. Les performances permises par ces combinaisons étaient telles que les fédérations sportives ont fait suspendre son utilisation durant les compétitions officielles…
  • Au Japon, le design du Shinkansen – le TGV local – s’inspire du bec du martin-pêcheur, capable de changer de milieu (air et eau) sans rencontrer de résistance, donc sans perdre de vitesse.
  • Au Zimbabwe, à Harare, un centre commercial (l’Eastgate Building) dispose d’un système de ventilation unique au monde permettant une rentabilité énergétique maximale sans air conditionné, grâce à une régulation passive de la température intérieure. Le modèle utilisé par les architectes ? Une termitière !

Plus loin dans le temps, la célèbre Tour Eiffel constitue un exemple insoupçonné de la puissance du biomimétisme. L’un des ingénieurs de Gustave Eiffel se serait en effet inspiré de l’organisation interne du fémur humain (constitué de plusieurs milliers de travées formant un réseau) pour développer la structure ouverte, à la fois résistante et légère, de la Dame de fer.

Quel avenir pour le biomimétisme ?


Comme on peut le constater avec les exemples ci-dessus, le biomimétisme est riche d’applications étonnantes, parfois inattendues.

Son potentiel est infini, dans la mesure où cette approche a vocation à nous aider à faire mieux avec moins, et plus efficacement. Les champs d’utilisation sont donc extrêmement nombreux, mais aussi particulièrement pertinents dans un contexte de lutte contre le changement climatique et de restriction des effets de l’activité humaine sur l’environnement.

Face à la surexploitation des ressources et à la crise écologique qui en découle, le biomimétisme revêt un espoir de transformation radicale de notre économie qui s’appuierait sur des technologies plus propres, plus sûres, et énergétiquement plus sobres.

Estimé à 430 milliards de dollars à l’horizon 2030 (voir à ce titre l’entretien avec Sidney Rostan dans LITTLE BIG THINGS), le marché du biomimétisme offre donc de belles perspectives de développement pour de multiples secteurs d’activité.

Pour preuve, les sociétés qui conçoivent des technologies bio-inspirées enregistrent une croissance exponentielle : c’est le cas du français Bioxegy, qui a doublé son chiffre d’affaires chaque année depuis sa fondation en 2018. Bioxegy développe des innovations pour des groupes industriels en transposant les travaux des biologistes, par exemple en s’inspirant de la façon dont certains poissons des profondeurs captent la lumière pour optimiser l’éclairage des immeubles et des entrepôts.

Au-delà de son potentiel économique important, le biomimétisme pourrait être la principale source d’innovation écologique, et donc, d’une certaine façon, la clé de la sauvegarde non seulement de la planète, mais aussi de nos modes de vie contemporains, le gaspillage en moins. Une clé que l’on a cherchée en vain, alors qu’elle était depuis toujours… tout autour de nous !

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